Nous avons rencontré la réalisatrice de cette chronique tendre et touchante, à voir en salle dès le 14 août.
Miryam Bouchard a grandi avec un père clown. Un vrai, avec nez rouge et liberté irrépressible en bandoulière. Du genre à ne pas remplir le frigo, mais à aimer sans limite. Des années plus tard, la jeune femme réalisatrice aguerrie (Les chroniques d’une mère indigne, 30 vies, M’entends-tu?…) a puisé dans sessouvenirs avec Reynald Bouchard la matière d’un film dont le cœur bat fort, un film joli, mais jamais mièvre, qui fait rimer insolence et poésie, drôlerie et émotion, et qui offre à Patrick Huard un rôle qui lui permet de déployer un charisme et une tendresse irrésistibles.
Nous avons rencontré la cinéaste.

Votre CV est impressionnant. Courts métrages, clips, fictions télé, documentaires… Manquait un premier longmétrage, que voilà. Était-ce votre Graal?
Myriam Bouchard: C’est sûr qu’un premier longmétrage, c’est un rêve, mais ce n’est pas une fin en soi. Je crois que mon bonheur est beaucoup plus simple que ça! Je trouve extraordinaire de pouvoir vivre de mon métier; je me sens privilégiée. Mais à un moment donné, quand tu vis la mort de proches, comme mon père, puis le mari de ma mère et le père de mon chum, tu réalises que le bonheur, c’est être avec ceux qu’on aime. Simple de même, comme une toune country (rires). Je suis vraiment heureuse d’avoir pu réaliser un premier film, surtout sur un sujet aussi proche de moi. Mais ce n’était pas un Graal, non. Pas à ce point-là.
Lorsque l’on puise dans ses souvenirs pour écrire une fiction, comment trouve-t-on la bonne distance?
M.B.: C’est basé sur mes souvenirs, oui, mais c’est à la fois tout vrai et tout faux. En travaillant le scénario avec Martin Forget, la fiction est arrivée, ça a mis une première couche. Mais le grand saut s’est vraiment fait quand on a commencé à travailler avec les acteurs. Avec eux, on crée des personnages et à aucun moment, il ne s’est agi de créer Myriam ou mon père.
Bill, le personnage du père, est un personnage de fiction, ça a toujours été clair pour moi, et pour Patrick Huard, parce que sinon, je pense que je n’aurais pas été capable de travailler. J’aurais pleuré tout le temps, et je n’aurais pas été capable d’être objective!
Mais j’ai vraiment vu que c’était au moment où les acteurs se sont approprié les personnages que les souvenirs sont devenus des fictions à proprement parler, avec leurs propres histoires, leurs propres accessoires, qui ne m’appartenaient plus. Cela dit, pour moi, c’est un film de rédemption, et dans certaines scènes, j’ai pu me permettre de dire à mon père des choses que je n’ai pas eu le temps de lui dire avant qu’il meure, donc j’ai pu revisiter certaines choses.

On connaissait Patrick Huard comique et Patrick Huard dramatique. Mais là, il se révèle tendre et émouvant. Qu’est-ce qui vous a fait penser qu’il avait cela en lui?
M. B.:
J’ai pensé à lui très rapidement. C’est un peu mon Bill Murray dans Lost in Translation!
On savait qu’il pouvait être drôle, dramatique, mais il est extrêmement touchant aussi, lorsqu’il fusionne les deux. Et j’avais envie qu’on voie ça. Il y a aussi beaucoup de poésie en lui. Et oui, il m’a fait penser un peu à mon père. Je l’ai vu jouer à la LNI et j’ai capoté. Bien sûr c’est une grosse vedette, et assurément il n’allait pas là pour le cachet, mais par envie de se mettre en danger, d’être en recherche, de partager. En le voyant, je me suis dit: «Ce gars-là a envie de découvrir encore beaucoup de choses, d’explorer des aspects qu’il neconnaît pas». Mon père était dans la LNI aussi. J’y ai vu une sorte de corrélation. Et puis, pour être humoriste, ça prend une discipline d’enfer et un côté têtu. Pour être un clown et jongler aussi. Et comme il était papa, et que le rôle demandait ça, je soupçonnais aussi qu’il devait avoir une vraie tendresse pour les enfants. C’est ce que j’ai vu.

Et Jasmine Lemée, qui jusqu’ici n’avait pas eu de premier rôle (on a pu la voir dans Paul à Québec, Le mirage ou O)?
M.B.: Elle est pas pire, hein? (rires) Je l’ai trouvée par audition, mais ça a été un coup de foudre. C’est un rayon de soleil, cette enfant! Et en même temps, elle est sérieuse. Elle me fait penser à l’enfant qui joue Ed Harris jeune dans The Hours avec ce regard… Le visage d’un enfant, c’est comme un canevas; on s’y projette hyper facilement et on peut presque y voir l’émotion qu’on a envie d’y lire! Et Jasmine est vraiment commeça. J’ai travaillé directement avec elle, sans coach, et elle m’impressionnait. Elle arrivait tellement préparée.

Votre film pose aussi par la bande un regard sur le système d’éducation public au Québec, et ses défaillances, pour dire le moins…
M.B.: C’est possible d’avoir une éducation extraordinaire et de tomber sur un prof au public qui est fabuleux, comme Patricia (NDLR: jouée par Sophie Lorain). Mais on le sait, les profs au public ne peuvent pas se payer de ventilateurs dans les écoles quand il y a une canicule. Y a des limites de budget que le privé a moins. Je pense que l’éducation, ça passe d’abord par quelqu’un qui est allumé, un prof qui aime enseigner. J’adore l’école, mais c’est vrai, en ce moment, on vit une crise dans notre éducation. Je ne me positionne pas dans le film en disant que le privé est mieux que le public, mais plutôt en disant que tous les choix sont possibles. Cela dit, je pense tout de même que c’est un sujet dont on devrait plus parler. On voit bien, surtout depuis l’apparition de la COVID, à quel point les profs, c’est important, que ça prend des vocations.
L’éducation, c’est l’avenir d’une société. Et il y a des bibliothèques vides dans des écoles, parfois transformées en salles de classe parce qu’il y a trop d’élèves. Y a de quoi être fier au Québec de la gratuité de l’éducation, mais en ce moment, il y a assurément un bilan à faire et un repositionnement à avoir.
Les profs sont débordés, même s’ils aiment enseigner et leurs élèves.

Votre film parle de liberté. Au fond, lequel est le plus libre, le monde du cirque ou celui du cinéma?
M.B.: Le cirque! Il peut exister au coin de la rue, avec deux musiciens, un ballon, quelqu’un qui jongle! Le cinéma, c’est plus laborieux, c’est des gros sous, c’est une étape de plus avant de rejoindre le public. Mais moi, je ne suis pas capable de jongler (rires). Mon père voulait qu’on monte un numéro ensemble, mais je ne suis pas bonne sur la scène, je suis mieux derrière. Mon métier, en fait, c’est comme une reproduction de mon enfance: regarder les spectacles de mon père en coulisses. C’est pareil avec les acteurs: je les regarde avec amour, mais derrière la caméra.
Mon cirque à moi, en salle le 14 août. La bande-annonce (source: YouTube)